samedi 18 juin 2011

On peut discuter de la traduction du Pater en France


La Conférence des évêques de France achève une nouvelle traduction liturgique francophone de la Bible. Hier, sur Twitter, Mgr Giraud, évêque de Soissons, a proposé sa vision de la traduction controversée d'une phrase du Notre Père « Ne nous soumets pas à la tentation », ouvrant ainsi la discussion. C'est une grande première.
La traduction "Ne nous soumets pas à la tentation" est apparue dans la liturgie en France en 1966 à la place de « Ne nous laissez pas succomber à la tentation ». Or, actuellement, personne n’est satisfait de cette traduction, qui suppose une certaine responsabilité de Dieu dans la tentation qui mène au péché :
G "Le mot peirasmos pourrait certes être traduit par «épreuve» et non par «tentation». Mais «Ne nous soumets pas à l’épreuve» semble demander à Dieu que nous échappions à la condition humaine normale, marquée par l’épreuve. La traduction littérale du texte grec de Mt 6,13 devrait être «Ne nous induis pas en tentation» ou «Ne nous fais pas entrer en (dans la) tentation», «Ne nous introduis pas en tentation». Le verbe eisphérô signifie étymologiquement «porter dans», «faire entrer». La tentation est vue comme un lieu dans lequel Dieu nous introduirait. Mais Dieu pourrait-il nous «introduire» en tentation ? Ce verbe exprime un mouvement local vers un lieu où l’on pénètre. Il fait penser à Jésus, alors qu’il conduit par l’Esprit au désert pour y être tenté (Mt 4,11), ou encore à Gethsémani : «Priez pour ne pas entrer en tentation» (Mt 26,41). Or, dans tout le Nouveau testament, il n’est pas dit que Dieu tente sa créature humaine. La formule semble supposer que Dieu puisse tenter l’homme, alors que c’est le diable qui se charge normalement de cette opération. Dieu n’est pas l’auteur de la tentation. Plusieurs traductions ont été étudiées. «Ne nous soumets pas à la tentation» : cette traduction évoque l’image d’un Dieu qui fait subir la tentation et qui serait comme l’auteur de la tentation. «Fais que nous n’entrions pas en (dans la) tentation» : cette traduction cherche à dédouaner Dieu d’être l’auteur de la tentation. «Ne nous fais pas entrer dans la tentation» : certes «entrer dans la tentation», ce n’est pas nécessairement y succomber, mais c’est entrer dans cette situation critique où Satan (le Mal) commence à nous atteindre et où nous risquons, à cause de notre faiblesse, de nous laisser vaincre. Cependant elle risque de désigner encore une certaine responsabilité de Dieu dans la tentation. «Ne nous laisse pas entrer en tentation» : cette traduction serait meilleure d’autant qu’elle se rapprocherait d’une source littérale araméenne. En français «laisser faire» veut dire «ne pas empêcher». «Ne pas laisser faire» a le sens positif d’« empêcher ». Dieu peut permettre que nous entrions dans la tentation et nous donner la force de pouvoir en «sortir». Dieu ne nous tente pas, mais il nous met parfois à l’épreuve en permettant à Satan (le Mal) de nous tenter pour nous purifier. Avec cette traduction, nous supplions Dieu : «Ne permets même pas que nous entrions en tentation». Nous lui demandons d’intervenir en notre faveur pour écarter de notre route un danger redoutable, celui de prendre le risque d’être séparé de Lui et de son Peuple. La Traduction Liturgique de la Bible pourrait donc choisir de proposer «Et ne nous laisse pas entrer en tentation» appuyée par Mt 26,41. Déjà la Bible de Segond de 1964 reprenait l’expression «Ne nous laisse pas entrer en tentation», comme le fera la Bible de Jérusalem de 2000."
Dans une conférence, Yves Daoudal indiquait :
"En fait, on avait eu raison de traduire par une périphrase : Ne nous laissez pas succomber à la tentation. Pour le coup on a ici un hébraïsme, et un vrai. Et les hébraïsants sont ici précieux. Ils nous expliquent que le verbe grec traduit un verbe araméen à la forme causative. Or le causatif peut avoir un sens factitif fort, faire, faire faire, et un sens permissif, laisser faire, permettre de faire. Ce qui est le cas ici, comme en plusieurs endroits des Septante. Par exemple dans le psaume 140 qui dit littéralement, de façon très proche de la demande du Pater : N’incline pas mon cœur vers les paroles mauvaises. Le sens est : Ne laisse pas mon cœur s’incliner vers les paroles mauvaises. Du moins si l’on tient à traduire pirasmone par tentation. En fait ce mot veut dire d’abord épreuve. Le psaume 25 dit à Dieu : Tenta me, ce qui ne se traduit pas par « Tente-moi », bien sûr, mais par « Mets-moi à l’épreuve ». Sans m’y laisser succomber…"
Michel Janva

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