mardi 7 juin 2011

« Evêque, c’est par vous que je meurs ! »


C’est ainsi que le 30 mai 1431, Jeanne d’Arc, prête à mourir sur le bûcher à Rouen, lança cette terrible accusation. Accusation que les belles âmes de l’époque ont du juger ainsi « mais comment oser s’en prendre ainsi à nos pasteurs, nos évêques, c’est indigne…« . Belles âmes que nous retrouvons aujourd’hui, et qui préfèrent se terrer la tête dans le sable, voire hurler avec les loups, plutôt que de reconnaître que, c’est par certains de nos évêques que nous mourrons. Qui sont les évêques Cauchon de nos temps ? Peu importe. Ces insupportables procès en sorcellerie ne sont pas l’apanage du XVe siècle.
Pierre Cauchon était licencié en Droit, et sans doute diplômé en théologie de la Sorbonne. Il était évêque. Mais il rêvait d’être archevêque de Rouen. Or, voici que l’occasion se présentait. C’était une chance unique : s’il arrivait à prouver l’imposture de Jeanne, à la déclarer hérétique ou sorcière, les Anglais seraient plus que ravis : le roi Charles VII, sacré par une sorcière, serait définitivement disqualifié ! Quel rire dans la chrétienté. Alors, il se disait que c’était sa chance et qu’une simple bergère ne pourrait se dépatouiller des instruments de sa rhétorique. Il serait facile de la piéger. Monseigneur Cauchon prépara longuement son procès. Il envoya des émissaires à Domremy, le village natal de Jeanne, pour y recueillir des témoignages, si possible compromettants. Ils ne trouvèrent pas grand chose sinon une danse qu’elle avait pratiquée enfant, avec les fillettes du village, à l’occasion de la saint Jean, autour de « l’arbre des fées », une vieille tradition au parfum païen. Au début, il ne croyait pas en Jeanne. Il commença donc par faire vérifier sa virginité, elle qui se targuait de son titre de « pucelle ». Si elle était vierge, il était prêt à en manger son chapeau. Ce genre de filles, coureuses des armées, ne peuvent être vierges ! Les matrones avaient donc vérifié et, contre toute attente, avaient conclu sans ambiguïté possible à la virginité de Jeanne. Lorsque Jeanne parut à son procès, il ne put que constater que, malgré les mois de prison et la garde d’une bande de soldats ricanants et lubriques, elle avait l’air fier. Elle portait la tête haute et regardait avec franchise, droit dans les yeux, ses interlocuteurs.
Monseigneur Cauchon crut pouvoir régler son affaire très vite. Or, il n’y arrivait pas. Elle se défendait fort bien. Et pourtant, il lui tendait mille embûches. Un jour, à force de tout tenter, il lui avait demandé :
Avez-vous la grâce, Jeanne ?
Elle ne pouvait deviner le piège théologique mortel devant ses pieds : si elle répondait « oui », elle devenait hérétique car nul ne peut savoir s’il plaît à Dieu. Si elle répondait « non », elle se condamnait elle-même.
- Si j’ai la grâce, Monseigneur, que Dieu m’y garde. Si je ne l’ai pas, que Dieu m’y mette.
Une telle réponse ne peut venir que de Dieu. Et Monseigneur Cauchon le savait, forcément, puisqu’il avait lu saint Thomas d’Aquin. Et ce fut comme cela tout au long de son procès. Elle était fraîche, pleine d’humour et toujours juste. A partir d’un certain moment, il est certain qu’il a compris qu’il avait affaire à une authentique envoyée de Dieu. Et là, il a perdu pied. Comme il n’arrivait pas à la piéger, malgré toute sa science, il a décidé de falsifier. Voilà comment il a réussi à la piéger en se servant d’une apparente légalité canonique. Jeanne était habillée en homme. Or Monseigneur Cauchon trouve dans la Bible un texte qui condamne le travestissement. C’est en effet une très ancienne pratique liée à des jeux sexuels. Il en accuse donc Jeanne qui répond :
- Mettez-moi dans une prison d’Eglise tenue par des femmes, et je n’aurai pas besoin de m’habiller avec des vêtements d’homme bien noués pour protéger ma vertu.
L’évêque a bien compris que Jeanne n’est pas coupable. Mais il va préméditer une ruse, ayant extérieurement l’apparence de la légalité, pour la condamner. Monseigneur Cauchon commence par faire servir à Jeanne une nourriture avariée qui la rend malade. Ainsi affaiblie, il la fait traîner sur la place du Vieux marché de Rouen où un bûcher a été dressé. Il lui montre et lui fait dire : « C’est pour vous, Jeanne, sauf si vous signez ce papier. » Jeanne demande ce qui est écrit sur le papier. « Rien de grave », lui répond-on. « Juste que vous vous soumettez à vos juges et que vous ne faites plus appel au pape. Et si vous signez, vous serez installée ce soir dans une prison tenue par des femmes. » Epuisée et sans conseils, Jeanne signe. On la félicite. Et on la fait s’habiller en femme. Or, on la reconduit vers la prison tenue par les soldats anglais. Elle proteste. On ne l’écoute pas. Ce qui doit se passer se passe. Dans la soirée, la voyant habillée en femme, les soldats s’approchent et commencent à soulever sa robe. Elle les chasse, avec ses poings et ses pieds. Comme par hasard, ses vêtement d’homme sont là, bien en évidence. Alors Jeanne se rhabille en homme et noue tous les lacets. Le lendemain, en grand équipage, Monseigneur Cauchon se rend à la prison pour constater que Jeanne s’est de nouveau travestie. Elle est donc retombée dans son péché (Relaps en droit canonique). Selon la loi, il lui dit : « Je ne peux plus rien pour vous, Jeanne. Je suis obligé de vous livrer au bras séculier puisque vous être retombée. » Jeanne lui répond : « Evêque, c’est par vous que je meurs. » Le jour même elle est brûlée. Et ce fut une grande pitié de la voir aller vers son supplice. Elle criait « Jésus ! Jésus ! ».
Monseigneur Cauchon a assisté en partie au supplice. Mais la foule grondait. Il a fini par s’éclipser. Il a exercé le pouvoir jusqu’à sa mort. Il n’a pas eu la récompense qu’il convoitait. Il est resté simple évêque pendant 11 ans puis il est mort, d’un coup, en se rasant, un matin de 1442.

Posté par Maximilien Bernard dans Histoire le 05 30th, 2011 |

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