mardi 28 décembre 2010

 


Chasser l'erreur...

« On vous a dit, n’est-ce pas ? que mes violences écrites offensent la charité. Je n’ai qu’un mot à répondre à votre théologien, c’est que la justice et la miséricorde sont identiques et consubstantielles dans leur absolu. Voilà ce que ne veulent entendre ni les sentimentaux, ni les fanatiques. Une doctrine qui propose l’amour de Dieu pour fin suprême a surtout besoin d’être virile, sous peine de sanctionner toutes les illusions de l’amour-propre ou de l’amour charnel. 
Il est trop facile d’émasculer les âmes en ne leur enseignant que le précepte de chérir ses frères, au mépris de tous les autres préceptes qu’on leur cacherait. On obtient, de la sorte, une religion mollasse et poisseuse, plus redoutable par ses effets que le nihilisme même.

Or, l’Evangile a des menaces et des conclusions terribles, Jésus, en vingt endroits, lance l’anathème, non sur des choses, mais sur des hommes qu’il désigne avec une effrayante précision. Il n’en donne pas moins sa vie pour tous, mais après nous avoir laissé la consigne de parler « sur les toits », comme il a parlé lui-même. C’est l’unique modèle et les chrétiens n’ont pas mieux à faire que de pratiquer ses exemples.
Que penseriez-vous de la charité d’un homme qui laisserait empoisonner ses frères, de peur de ruiner, en les avertissant, la considération de l’empoisonneur ? Moi, je dis qu’à ce point de vue la charité consiste à vociférer et que le véritable amour doit être implacable. Mais cela suppose une virilité, si défunte aujourd’hui, qu’on ne peut même plus prononcer son nom sans attenter à la pudeur…
Je n’ai pas qualité pour juger, dit-on, ni pour punir. Dois-je inférer de ce bas sophisme, dont je connais la perfidie, que je n’ai pas même qualité pour voir, et qu’il est interdit de lever le bras sur cet incendiaire qui, plein de confiance en ma fraternelle inertie, va, sous mes yeux, allumer la mine qui détruira toute une cité ?
Si les chrétiens n’avaient pas tant écouté les leçons de leurs ennemis mortels, ils sauraient que rien n’est plus juste que la miséricorde, parce que rien n’est plus miséricordieux que la justice, et leurs pensées s’ajusteraient à ces notions élémentaires.
Le Christ a déclaré « bienheureux » ceux qui sont affamés et assoiffés de justice, et le monde, qui veut s’amuser, mais qui déteste la béatitude, a rejeté cette affirmation.
Qui donc parlera pour les muets, pour les opprimés et les faibles, si ceux-là se taisent, qui furent investis de la parole ? L’écrivain qui n’a pas en vue la justice est un détrousseur de pauvres aussi cruel que le riche à qui Dieu ferme son Paradis. Ils dilapident l’un et l’autre leur dépôt et sont comptables, au même titre, des désertions de l’espérance.
Je ne veux pas de cette couronne de charbons ardents sur ma tête, et depuis longtemps déjà, j’ai pris mon parti. »

Léon Bloy

 
... et montrer le Ciel.

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